LÈPRE

LÈPRE
LÈPRE

Un des fléaux de tout temps les plus redoutés de l’humanité, attribué parfois même à une malédiction divine, la lèpre a trop souvent suscité des mesures inhumaines envers les malades. Depuis l’Inde, où son existence est supposée très ancienne, elle s’est répandue par le Moyen-Orient vers l’Europe jusqu’au XIIIe siècle. L’endémie a régressé ensuite dans la majeure partie de l’Occident, persistant toutefois quelque temps en plusieurs régions, notamment en Scandinavie; cela explique qu’un Norvégien Armauer Hansen ait pu, au siècle dernier, découvrir le bacille, agent pathogène de l’infection, classant celle-ci parmi les maladies infectieuses et contagieuses. C’est seulement au cours de la dernière guerre mondiale, aux États-Unis, qu’un médicament a été reconnu efficace, transformant la lèpre en maladie curable. Mais son évolution dure des années et, non traitée à temps, elle entraîne des infirmités irréversibles. Par ses effets, comme par les drames psychologiques qu’elle provoque, la lèpre crée un important problème social, si l’on considère que de nos jours les lépreux se chiffrent encore par millions.

Historique et répartition géographique

L’origine de la lèpre se perd dans la nuit des temps. À la lecture des textes anciens, indiens et chinois, et des livres sacrés, telle la Bible, certaines maladies indiquées comme redoutables et infamantes semblent correspondre à la lèpre, mais l’imprécision des signes évoqués ne permet pas d’en être certain. On peut lire les premières descriptions caractéristiques de la lèpre dans le Sushruta Samhita , compilation des traditions médicales de l’Inde de la plus haute antiquité, écrite six siècles avant J.-C. Ainsi l’Inde est considérée, sinon comme le lieu d’origine, du moins comme un des premiers foyers du fléau.

La lèpre se serait, de là, répandue à l’est vers l’Indochine, l’Insulinde, la Chine, puis le Japon. À l’ouest, transportée par les guerriers de Darius et d’Alexandre, elle gagne la Perse, le Proche-Orient, l’Égypte. Les Phéniciens contribuent à son extension à tout le littoral méditerranéen, et au début de l’ère chrétienne les légions romaines la font pénétrer au cœur de l’Occident. Les navigateurs, les invasions barbares et sarrasines favorisent sa dissémination à toute l’Europe et jusqu’en Islande. À la suite des Croisades, enfin, elle atteint son apogée en Europe aux XIIe et XIIIe siècles. Elle inspire à cette époque une terreur telle que les lépreux sont frappés de mort civile et rejetés de la communauté humaine après une cérémonie religieuse dite separatio leprosorum. Il existe alors pour les recueillir environ 19 000 léproseries dans toute la chrétienté, et près de 2 000 en France seulement. À partir du XIVe siècle, la lèpre décline rapidement en Europe, en partie sans doute du fait de cette impitoyable ségrégation, et de la mortalité consécutive aux épidémies de peste, variole, choléra; quelques foyers y subsistent actuellement, mais de peu d’importance.

Aujourd’hui, en France et dans presque toute l’Europe, les cas de lèpre sont des cas «importés», l’infection ayant été contractée en pays endémiques. L’Asie du Sud-Est reste toujours le foyer numériquement le plus élevé. L’Afrique noire est très fortement atteinte, et l’est sans doute depuis des temps reculés. Dans le Nouveau Monde, l’endémie est surtout sérieuse en Amérique centrale et en Amérique du Sud, contaminées d’abord au XVIe siècle par les conquistadors et les Portugais, mais plus sûrement ensuite par l’importation d’esclaves noirs. L’Océanie, où la maladie aurait pénétré avec les immigrants chinois et japonais du XIXe siècle, compte également parmi les principaux foyers. Il est à remarquer que les zones d’endémie sont toutes situées dans les régions tropicales et subtropicales, en fait zones de pays sous-développés.

Les évaluations sur la prévalence de la lèpre sont très approximatives. Le nombre de malades a été estimé, en 1994, à environ 5 ou 6 millions pour le monde entier, chiffre renvoyant selon l’Organisation mondiale de la santé au nombre de cas à traiter d’ici à l’an 2000.

Agent pathogène de la lèpre

Le bacille, agent pathogène de la lèpre, a été découvert dans les lésions de malades norvégiens, par A. Hansen, en 1873 (au tout début de l’ère pasteurienne, et avant même la découverte du bacille tuberculeux), d’où l’appellation courante de «bacille de Hansen». Dénommé Mycobacterium leprae , il appartient comme le bacille tuberculeux au genre des mycobactéries (classe des Actinomycétales, d’après la classification de Bergey, 1957), caractérisées par une constitution ciro-graisseuse qui leur confère, lors de la coloration par la méthode de Ziehl-Nielsen, une propriété tinctoriale particulière, l’acido-alcoolo-résistance. Observé dans les produits pathologiques, le bacille de la lèpre est un bâtonnet de 1,5 à 8 micromètres de long, qui peut être homogène, témoignant alors de sa vitalité, ou en dégénérescence (fragmenté, granuleux). On trouve les bacilles isolés, ou en amas, ou agglutinés en masses arrondies caractéristiques, les globies (cf. figure). Parasite endocellulaire habituel, le bacille de Hansen se multiplie surtout dans les histiocytes formant les infiltrations cellulaires lésionnelles, qui prennent alors le nom de «cellules de Virchow». Un des obstacles majeurs que rencontra la lutte contre la lèpre a résidé dans l’impossibilité de la culture du bacille in vitro, par les méthodes classiques de la bactériologie.

Tentées en vain pendant près d’un siècle, les inoculations aux animaux ont été enfin réalisées depuis 1960. Par inoculation à la plante des pattes de souris, on obtient des infections localisées, transmissibles en série; la multiplication bacillaire y est suffisante pour permettre d’apprécier l’action des divers médicaments et de déceler l’apparition d’éventuelles résistances. On a pu provoquer des infections plus importantes, en abaissant la résistance immunologique de l’animal par thymectomie et irradiation aux rayons X. Dans ces conditions, il a été démontré que le temps moyen de division du bacille était de 12 à 13 jours. En 1971, on a constaté la réceptivité de certains tatous (armadillo) chez lesquels le Mycobacterium leprae peut déterminer de véritables lépromes, ce qui fournit un modèle pour les essais thérapeutiques.

Transmission

La lèpre, ou «maladie de Hansen», n’étant pas héréditaire, et l’infection congénitale étant exceptionnelle, la diffusion en est due uniquement à la contagion. Il ne faut pas oublier que la majorité des lépreux ne sont pas contagieux, et que la maladie se contracte seulement au contact des malades bacillifères. Chez ces derniers, les bacilles sont émis en grande quantité par le nez, la bouche, les voies respiratoires supérieures, et la peau, surtout lorsqu’il y a ulcération. La pénétration du bacille se fait par voie cutanée, à la faveur d’une excoriation, ou de frottements répétés. Ainsi les premières lésions sont situées sur les parties du corps habituellement découvertes: visage et mains chez les Norvégiens du temps passé, membres inférieurs et majeure partie du corps chez les autochtones des pays tropicaux. La contamination peut être directe (promiscuité, partage d’un même lit, soins donnés par une mère malade à de jeunes enfants à l’épiderme fragile); mais, contrairement à une opinion erronée, la maladie ne se contracte pas par rapports sexuels. Indirectement, le bacille se transmet par l’intermédiaire de tout linge, d’objets usuels et instruments divers, par la marche pieds nus sur un sol souillé de crachats et sécrétions nasales de malades, à la suite aussi de tatouages ou d’inoculations accidentelles.

Immunité

Mais la lèpre est en définitive peu contagieuse, seul un petit nombre des individus exposés deviennent lépreux; de plus, la majorité des sujets atteints ne font pas d’évolution maligne. Il peut, en effet, exister chez l’homme une résistance à l’infection due à un état d’immunité relative, acquise par le contact avec le bacille de Hansen, ou le bacille de Koch ou par vaccination au B.C.G. Il s’agit ici d’immunité cellulaire. Ces phénomènes pourraient expliquer en partie la grande réceptivité de l’enfant (qui n’a pas encore eu de contact immunogène), la résistance relative de l’adulte, la rareté des infections conjugales, le caractère capricieux de la contagion. Bien d’autres facteurs entrent en jeu, parmi lesquels les facteurs hormonaux, la nutrition, etc., responsables aussi des fréquentes fluctuations de la résistance.

On met en évidence la présence ou l’absence de l’état d’immunité par l’intradermo-réaction à la lépromine, ou «réaction de Mitsuda», dont la positivité (lecture après 4 semaines) indique la résistance relative de l’organisme à l’infection. La lépromine est une suspension en eau physiologique de bacilles de Hansen, provenant de lépromes humains, et tués par la chaleur.

Clinique et diagnostic

La lèpre est une maladie chronique de très longue durée. L’incubation dure plusieurs années, et la première lésion, toujours bénigne, passe souvent inaperçue. Selon son évolution ultérieure, la maladie se classe en trois formes principales; les formes tuberculoïde (T) et indéterminée (I), dites bénignes, dans lesquelles l’organisme du malade possède une certaine résistance vis-à-vis de l’infection, et dont les lésions sont de ce fait paucibacillaires; la forme lépromateuse (L), dite maligne, dans laquelle l’organisme n’oppose aucune résistance à l’envahissement bacillaire.

La lèpre affecte principalement la peau et les nerfs périphériques, et ce dans les trois formes. Le malade de forme lépromateuse avancée présente, en outre, une atteinte des muqueuses nasales, bucco-pharyngées et laryngées, du système oculaire (pouvant aboutir à la cécité), ainsi que de certains organes internes. L’évolution de la maladie est souvent entrecoupée d’épisodes aigus, appelés «réactions», dus en grande partie à des phénomènes d’hypersensibilité. Fréquentes surtout dans la forme L, ces réactions sont des facteurs d’aggravation entraînant parfois la mort. Mais la maladie est très rarement mortelle par elle-même.

Les lésions cutanées de la lèpre ont les aspects les plus variés, pouvant être très discrètes, ou au contraire accentuées, allant jusqu’à des altérations monstrueuses, comme le faciès léonin. Mais leur caractère essentiel est de présenter, toujours dans les formes bénignes, et souvent dans la forme maligne, des troubles plus ou moins marqués de la sensibilité. Les lésions nerveuses sont toujours des névrites des nerfs périphériques, avec le plus souvent hypertrophie des troncs nerveux. Elles déterminent: l’insensibilité des extrémités (symptôme très important), avec pour conséquence de fréquentes brûlures et blessures suivies de surinfections; des paralysies avec atrophies musculaires entraînant des déformations; des troubles trophiques responsables d’ulcères, maux perforants et destructions osseuses, toutes causes pouvant aboutir à des mutilations. La perte de sensibilité n’empêche d’ailleurs pas l’existence de sévères douleurs.

Le diagnostic de la lèpre, le plus souvent aisé à condition qu’on y pense chez tout sujet ayant séjourné en pays d’endémie, est parfois fort délicat, et relève de la compétence du spécialiste. Il sera fondé sur un examen clinique minutieux, complété par l’examen bactériologique des lésions cutanées (biopsie d’un petit fragment de peau prélevé au bistouri, écrasé sur lames et coloré) et de la muqueuse nasale. Les examens histopathologiques de biopsies sont souvent utiles.

Traitement

Pendant des siècles, le seul médicament de la lèpre a été l’huile de chaulmoogra, extraite des graines de plantes des régions tropicales appartenant à la famille des Flacourtiacées. Ce produit était doué d’une certaine action, insuffisante toutefois pour enrayer l’évolution maligne.

Les sulfones, essayées pour la première fois en 1941 aux États-Unis, ont marqué par leur efficacité une étape considérable dans la thérapeutique de la lèpre, dont elles ont transformé le pronostic. Les composés substitués furent bientôt remplacés par la sulfone mère, la diaminodiphénylsulfone (DDS), qui en représente la fraction active. D’emploi facile, peu toxique à doses modérées, de prix modique, elle est utilisée dans le monde entier, et reste encore le médicament de base de la lèpre. D’autres produits très efficaces sont venus élargir l’éventail thérapeutique: une diphénylthio-urée, des sulfamides-retard, une riminophénazine (qui a en plus une activité antilépreuse sûre une activité anti-inflammatoire appréciable permettant de réduire les complications réactionnelles). Enfin, les antibiotiques antituberculeux (Rifampicine éthionamide) ont fait preuve d’activité antilépreuse. On peut les associer avec un sulfone (Dapsone) et un autre antibiotique (la Clofazimine): c’est la polychimiothérapie (PCT).

La durée du traitement spécifique varie de 6 mois à 2 ans suivant les différentes maladies. La polychimiothérapie est efficace (rechute inférieure à 0,1 p. 100) et bien tolérée; les lésions cutanées et muqueuses régressent ou s’effacent, les lésions oculaires se stabilisent, les bacilles dégénèrent puis disparaissent progressivement. Les lésions nerveuses, plus rarement améliorées, peuvent bénéficier de la physiothérapie. Mais il reste les infirmités irréversibles; une fois installées, elles nécessitent le recours à la chirurgie orthopédique ou réparatrice. Dans les régions d’endémie lépreuse, des équipes chirurgicales s’attachent à promouvoir, avec une technologie aussi peu sophistiquée que possible, pour des raisons de coût, l’appareillage des lépreux handicapés. Le Programme National Lèpre (P.N.L.) mis en place par l’association Follereau permet d’engager une bataille contre la lèpre avec l’État, la population, les O.N.G. et l’O.M.S. Un vaccin antilépreux, longtemps attendu, est en cours d’élaboration.

Il faut savoir que la plupart des malades peuvent et doivent mener une existence normale, parfaitement compatible avec un traitement ambulatoire; savoir aussi que la lèpre, prise tout au début, peut guérir sans laisser aucune séquelle. En France, l’hospitalisation en sanatoriums spécialisés concernait, temporairement, les malades contagieux ou victimes de complications.

Problème social et psychologique

L’horreur séculaire inspirée par la maladie autrefois incurable était compréhensible; en dépit de la gravité de l’affection, elle ne se justifie plus aujourd’hui, grâce aux progrès des connaissances médicales et des thérapeutiques. Le «psychisme du lépreux», souvent évoqué, n’est que la réaction de ce dernier vis-à-vis de la société: il lui faut, envers et contre tout, cacher sa maladie.

Mais la peur et les préjugés demeurent et pèsent, beaucoup plus que la maladie elle-même, sur le lépreux, même si l’on remplace ce mot par celui de «hansénien». Il faut en effet reconnaître que les lépreux sont toujours victimes d’exclusion, autant par le dégoût que cette maladie inspire à ceux qui en sont indemnes que par la ségrégation sociale drastique infligée aux grands malades qui sont un vrai défi pour des systèmes de santé aussi peu performants que ceux des pays en voie de développement.

Une meilleure connaissance de la maladie et de son traitement et la lutte courageuse menée par plusieurs associations d’aide humanitaire (ordre de Malte, Handicap international) et surtout l’action internationale de la Fondaion Raoul Follereau (créée en 1984) ont permis de soigner de façon plus efficace, d’éliminer la peur par l’éducation du public et de faciliter le reclassement social des malades stabilisés.

lèpre [ lɛpr ] n. f.
liepre 1155; lat. lepra, mot gr.
1Maladie infectieuse et contagieuse due au bacille de Hansen. vx ladrerie. Nodules ( léprome) , ulcérations, lésions trophiques et nerveuses de la lèpre. « Julien s'aperçut qu'une lèpre hideuse le recouvrait » (Flaubert). Malade atteint de la lèpre. lépreux.
2Ce qui ronge. « des murailles grises, mangées d'une lèpre jaune » (Zola).
3Fig. et littér. Tout mal qui s'étend et gagne de proche en proche. La lèpre de l'ennui.

lèpre nom féminin (bas latin lepra, du grec lepra) Maladie infectieuse chronique plus ou moins contagieuse, due au bacille de Hansen, qui prédomine au niveau de la peau (forme lépromateuse) ou des nerfs (forme tuberculoïde). Moisissure qui ronge : Les murs mangés par une lèpre. Littéraire. Mal ou vice grave qui progresse. ● lèpre (citations) nom féminin (bas latin lepra, du grec lepra) Paul Claudel Villeneuve-sur-Fère, Aisne, 1868-Paris 1955 Il est facile d'être une sainte quand la lèpre nous sert d'appoint. L'Annonce faite à Marie, III, 3, Mara Gallimardlèpre (synonymes) nom féminin (bas latin lepra, du grec lepra) Littéraire. Mal ou vice grave qui progresse.
Synonymes :
- gangrène

lèpre
n. f.
d1./d Maladie infectieuse contagieuse due au bacille de Hansen et dont les manifestations sont diverses. Lèpre maculeuse ou lépromateuse, caractérisée par des taches dermiques, puis des tumeurs nodulaires (lépromes). Lèpre mutilante ou tuberculoïde: forme nerveuse de la lèpre, qui entraîne la chute des doigts, des orteils, etc.
d2./d Fig. Creux et taches d'une surface rongée. Mur recouvert de lèpre.
d3./d Fig. Mal répugnant et contagieux comme la lèpre. Une lèpre morale.
Encycl. La lèpre est endémique dans de nombreux pays tropicaux et subtropicaux, notam. en Inde et en Afrique, où prédomine la forme mutilante. La contamination se fait surtout par contact d'homme à homme et par l'intermédiaire d'objets souillés. Les sulfones et certains antibiotiques permettent de guérir la forme mutilante et de stabiliser, par un traitement à vie, la forme maculeuse.

⇒LÈPRE, subst. fém.
A. — 1. MÉD. Maladie endémique infectieuse et contagieuse pouvant entraîner la mort, due au bacille de Hansen, caractérisée à un premier stade par la formation d'écailles, de tubercules et de pustules à la surface de la peau s'accompagnant d'une anesthésie locale, qui se transforment ensuite en lésions nécrosantes et mutilantes qui rongent les tissus et les organes du malade. Macules de lèpre; soigner la lèpre. Très commune en Europe au moyen-âge, la lèpre en a presque entièrement disparu aujourd'hui (Ac. 1935). Costals pince un de ses doigts, ne sent rien. La sueur humecte son front. L'anesthésie de la lèpre (MONTHERL., Lépreuses, 1939, p. 1488). Malheureusement l'état de Baudouin IV s'aggravait. La lèpre se manifestait dans toute sa hideur (GROUSSET, Croisades, 1939, p. 219) :
1. Elle passait les nuits entières à le veiller et à lui rendre les services les plus humilians (...). Il mourut, et elle le remplaça aussitôt par une jeune fille que la lèpre avait atteinte et défigurée de la manière la plus horrible, au point que dans l'hôpital personne n'osait l'approcher, ni même la regarder de loin.
MONTALEMBERT, Ste Élisabeth, 1836, p. 216.
P. anal., vx. Affections de la peau propres ou semblables à celles que provoque la lèpre. L'infortuné voit une lèpre épaisse couvrir tout son corps (CHATEAUBR., Martyrs, t. 3, 1810, p. 177) :
2. Elle vit, au moment de revenir de vêpres,
Tant de pauvres couverts de loques et de lèpres,
Aux marches du parvis assis et l'attendant
Que le cœur lui manqua rien qu'en les regardant.
COPPÉE, Poés., t. 3, 1887, p. 90.
En partic., vx. Éléphantiasis tuberculeux. L'enflure indolente des extrémités (...) n'est autre chose qu'un symptôme d'éléphantiasis (...). Dans cette période de la lèpre, la peau a déjà perdu de la sensibilité (Voy. La Pérouse, t. 4, 1797, p. 16).
2. P. anal., HORTIC. Maladie qui provoque la formation de croûtes blanchâtres et pulvérulentes sur les feuilles et les bourgeons des arbres ou des arbustes et les fait tomber. De longues treilles mal entretenues, et dont toutes les feuilles étaient dévorées de lèpre (BALZAC, Curé vill., 1839, p. 91). Le blanc, meunier ou lèpre est une maladie propre au pêcher. On le reconnaît à la poussière d'un blanc grisâtre qui couvre entièrement les feuilles (DU BREUIL, Cult. arbres, 1876, p. 454).
B. — P. anal. et au fig.
1. Altération à la surface de quelque chose, formant des croûtes et des taches rappelant celles de la lèpre. Façade mangée de lèpre. Le parement, écorché, çà et là, dessine sur les parois extérieures une lèpre hideuse (HUGO, Rhin, 1842, p. 184). Les façades grises, comme nettoyées de leur lèpre et badigeonnées d'ombre, s'étendaient, montaient (ZOLA, Assommoir, 1877, p. 431). Ils lurent le nom de la rue sur une plaque mangée de lèpre et dont l'émail, éclaté par places, laissait voir la rouille (VIALAR, Fins dern., 1953, p. 206).
P. métaph.
[Lèpre + de + subst. désignant ce qui est censé causer ou constituer l'altération] Une lèpre de plantes, de coquillages, de saleté. Les lourds hippopotames, pareils à des blocs de granit rose recouverts d'une lèpre de mousse noire (GAUTIER, Roman momie, 1858, p. 329). Et l'on voyait décroître, en ce silence sombre, Ses ulcères de feu sous une lèpre d'ombre (HUGO, Fin Satan, 1885, p. 772) :
3. Ses préoccupations (...) se réveillaient devant cette lèpre d'usines, de bicoques et de cabarets, étalée entre la grande ville de luxe et les premiers arbres de Fontainebleau.
BOURGET, Actes suivent, 1926, p. 81.
Lèpre + adj. Sur le front de mer les terrasses vitrées, mortes, leurs ferronneries mangées de lèpres salines, angoissent comme des bijouteries mises au pillage (GRACQ, Beau tén., 1945, p. 9).
2. Au fig., vieilli. Chose, phénomène présenté comme un mal qui s'étend peu à peu et dont les effets pernicieux sont semblables à ceux de la lèpre. Synon. gangrène. Des religions qui ont fait infiniment (...) de mal à l'humanité, et qui forment une lepre honteuse qui s'attache à la raison et la flétrit (DUPUIS, Orig. cultes, 1796, p. 416). Je suis né ennuyé; c'est là la lèpre qui me ronge. Je m'ennuie de la vie, de moi, des autres, de tout (FLAUB., Corresp., 1846, p. 410) :
4. Tout ce qui est de la musique est sentiment. De là, que la sentimentalité est la lèpre de la musique : on la rencontre presque partout; elle pourrit cet art...
SUARÈS, Debussy, 1936, p. 169.
P. méton., vx. Personne méchante et très nuisible. Synon. choléra, gale, peste. Dites ce que vous voudrez, j'étouffe dans cette chambre de voir une pareille lèpre se traîner sur nos fauteuils (MUSSET, Lorenzaccio, 1834, p. 157).
[Lèpre + de + subst. désignant ce qui constitue le mal] La lèpre du jeu, du doute. La lèpre du péché (Ac.). Enfin Foedora m'avait communiqué la lèpre de sa vanité (BALZAC, Peau chagr., 1831, p. 185). Tu retombes assez souvent, toi et tes pensées, recouvertes de la lèpre noire de l'erreur, dans le lac funèbre des sombres malédictions (LAUTRÉAM., Chants Maldoror, 1869, p. 202) :
5. Le conquérant était mort là-bas, puis ses compagnons, un par un; et une lèpre de médiocrité commençait de s'étendre sur les mœurs et la politique.
BOURGET, Essais psychol., 1883, p. 168.
REM. Léprosé, -ée, subst. Personne atteinte de la lèpre. Synon. lépreux. Quand Christ a touché la plaie du léprosé avec sa main, ce n'est pas la main du Christ qui est devenue épidémique, mais le léprosé qui a été nettoyé (MARTIN DU G., Thib., Pénitenc., 1922, p. 786).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1re moitié XIIe s. liepre (Psautier Cambridge, 90, 10 ds T.-L.); 1598 lepre de l'ame (de la médisance) (Le Miroir fr., 37 ds QUEM. DDL t. 21). Empr. au lat. lepra (du gr. ) « maladie », empl. par les aut. chrét. à propos du péché ou de l'hérésie et au fig. « ce qui s'attaque aux objets, ce qui détériore ». Fréq. abs. littér. : 333. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 269, b) 428; XXe s. : a) 671, b) 553. Bbg. BENVENISTE (É.). Un nom grec de la lèpre. R. Philol. de Littér. et Hist. anc. 1964, t. 38, pp. 7-11.

lèpre [lɛpʀ] n. f.
ÉTYM. V. 1265; liepre, v. 1120; lat. lepra.
1 a Vx. Maladie contagieuse rongeant les chairs. Éléphantiasis (des Grecs), ladrerie (vx).
b Mod. (spécialt). Maladie infectieuse et contagieuse due au bacille de Hansen. || La lèpre, maladie jadis incurable (→ Guérir, cit. 28). || Lèpre maculeuse, mutilante; lèpre nerveuse, tuberculeuse. || Pustules de la lèpre. || Nodules, ulcérations, lésions trophiques et nerveuses de la lèpre ( Lépride, léprome). || Léontiasis dû à la lèpre. || Malade atteint de la lèpre. Lépreux. || Vaccin contre la lèpre.
1 Il était enveloppé d'une toile en lambeaux, la figure pareille à un masque de plâtre et les deux yeux plus rouges que des charbons. En approchant de lui la lanterne, Julien s'aperçut qu'une lèpre hideuse le recouvrait (…) ses épaules, sa poitrine, ses bras maigres disparaissaient sous des plaques de pustules écailleuses. Des rides énormes labouraient son front. Tel qu'un squelette, il avait un trou à la place du nez; et ses lèvres bleuâtres dégageaient une haleine épaisse comme un brouillard, et nauséabonde.
Flaubert, Trois contes, « La légende de saint Julien l'Hospitalier », III.
tableau Principales maladies et affections.
2 (1837). Ensemble de taches qui rappellent les macules de la lèpre. || Une lèpre qui érode (cit.) la pierre.
2 C'étaient des murailles grises, mangées d'une lèpre jaune (…)
Zola, l'Assommoir, t. I, II, p. 54.
3 (1828). Vx. Nom donné à certains lichens.
4 (1598; du sens 1, in D. D. L.). Par compar., métaphore ou fig. Littér. Mal qui s'étend et gagne de proche en proche. || La lèpre du vice. || La lèpre de l'ennui. Cancer, peste.
3 (Une affaire qui) donna lieu à la plus grande plaie que la pairie pût recevoir, et qui en devint la lèpre et le chancre.
Saint-Simon, Mémoires, I, X.
4 Ah ! je vous plains, si cette lèpre-là vous est connue.
Flaubert, Correspondance, 7 juin 1844 (→ Ennui, cit. 25, à laquelle cette phrase fait suite).
5 La pauvreté s'étendit ainsi sur toute la société française comme une lèpre.
Fustel de Coulanges, Questions contemporaines, p. 78.
6 (…) tout un peuple mordu, rongé par une lèpre, une race détruite par ses instincts d'en bas, comme des plages sans digue.
F. Mauriac, Souffrances et bonheur du chrétien, p. 25.
DÉR. V. Lépreux.
COMP. Lépride, léprologie, léprologue, léprome.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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